r | Manifestations dermatologiques de l'infection à VIH
Dermatoses infectieuses Elles peuvent faire évoquer d'emblée le diagnostic du sida, quand elles sont dues à certains agents infectieux opportunistes (tableau ci-dessous). Souvent, il s'agit de dermatoses plus courantes, mais l'extension des lésions, leur évolution rapide, le manque d'efficacité des thérapeutiques habituelles, et la fréquence des rechutes évoquent une infection à VIH. La possibilité d'infections mixtes ainsi que l'atypie des lésions justifient le recours aux biopsies cutanées qu'il faudra systématiquement cultiver en milieu adapté pour recherche de bactérie, mycobactérie, champignon, virus et parasite. Dermatoses infectieuses (et agent pathogène) |
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Virus
Bactéries
Champignons
Parasites (helminthes et protozoaires)
Ectoparasites
* manifestations d'immunodéficience
mineure (IV C2) |
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Infections bactériennes Infections streptococciques et staphylococciques Elle sont fréquentes à type de folliculite, d'impétigo, d'echtyma, d'érysipèle, d'abcès sous-cutané, de cellulite, et de pyomyosite. Plus rarement ont été décrites des infections cutanées à bacille gram négatif (Pseudomonas aeruginosa, Haemophilus influenzae, ...), Rhodococcus equi, Actinomyces, et bacille rothia (agent responsable de la maladie des griffes du chat). Ce dernier est à l'origine de lésions papulo-nodulaires hyperpigmentées, pseudokaposiennes : l'angiomatose épithélioïde. Le traitement par l'érythromycine est efficace. Syphilis Elle conserve son polymorphisme clinique habituel, mais les syphilis secondaires dites malignes, avec présence de syphilides diffuses ulcéronécrotiques, semblent plus fréquentes. Le caractère papuleux ou infiltré des lésions est constant et justifie une sérologie systématique. Le profil sérologique est parfois modifié : VDRL négatif, retard à l'ascension du taux de VRDL quantitatif. Le diagnostic est alors étayé par la mise en évidence des tréponèmes dans les lésions de syphilis secondaires, par la coloration de Warthin-Starry de pratique courante aux Etats-Unis. L'immunodépression induite par le VIH imprime à la syphilis une évolutivité marquée par l'apparition rapide de la neurosyphilis. La précocité de l'invasion du système nerveux central par Treponema pallidum, jointe à l'immunodépression, remet en cause les schémas classiques des traitements de la syphilis précoce à base de pénicilline retard. En effet, celle-ci n'assure pas de taux tréponémicide dans le LCR et la ponction lombaire doit être théoriquement la règle devant toute syphilis même latente chez un séropositif. L'atteinte méningée est affirmée, chez l'immunocompétent, sur la présence d'au moins deux des trois critères suivants :
Compte tenu de l'atteinte fréquente du LCR au cours de l'infection à VIH, ces critères demandent à être évalués sur un tel terrain. En pratique, en l'absence de neurosyphilis associée le traitement classique de la syphilis précoce à base de pénicilline retard (benzathine-pénicilline G 2,4 M UI, une à deux fois à une semaine d'intervalle) reste probablement efficace. En revanche, en cas d'atteinte neuroméningée, un traitement par la pénicilline G intraveineuse, à la posologie de 24 M UI/j pendant 15 jours s'impose. Faute de pouvoir effectuer une ponction lombaire, ou un suivi régulier du VDRL quantitatif, la plupart des auteurs conseillent actuellement un traitement renforcé de la syphilis chez le séropositif. Dans cette indication, aucun des traitements suivants n'a montré une efficacité identique à celle de la pénicilline G intraveineuse : amoxicilline, même en assocation avec le probénécide, doxycycline, même à la posologie de 400 mg/j. Ulcérations génitales Les ulcérations génitales, dont Haemophilus ducreyi est le principal responsable en Afrique, sont un facteur de risque de séroconversion VIH. Le profil clinique des chancres nous semble inchangé, mais des échecs ont été rapportés avec les traitements classiques à base d'érythromycine. Mycobactéries Les mycobactérioses (Mycobacterium avium intracellulare, Mycobacterium tuberculosis) à localisation cutanée ont été rapportées sous forme d'ulcération chronique, de nodule, d'abcès, ou au cours de bécégite disséminée. La biopsie cutanée permet habituellement le diagnostic en montrant des bacilles acido-alcoolo-résistants. Les interactions entre la maladie de Hansen et l'infection à VIH sont encore mal connues et pourraient ne pas apparaître du fait de la longue durée d'incubation de la lèpre et de l'évolution rapidement fatale du sida en Afrique. Infections virales Herpès simplex virus L'herpès cutanéo-muqueux chronique ou extensif est un marqueur clinique de sida. Il est alors absorbé chez 14,9 à 27% des patients selon les études. Cliniquement, les lésions sont des ulcérations chroniques, multiples et confluentes. La localisation génitale prédomine. Des localisations atypiques (visage, périnée, main, jambe) ont été observées. Le diagnostic repose plus sur la culture virale que sur le cytodiagnostic de Tzanck (spécifique des herpès-viroses, mais non d'herpès simplex virus). Le traitement par l'aciclovir, 1g/j per os ou 15 mg/kg/j IV, doit être poursuivi jusqu'à la guérison (5 à 10 jours). La prescription systématique d'un traitement d'entretien par l'aciclovir à la posologie réduite doit être évitée car il favorise la survenue d'infections à herpès simplex ou varicele-zona résistantes à l'aclivovir. Le traitement d'entretien (400-600 mg/j) doit être réservé aux patiens présentant plus d'une récidive par mois. Le zona est un bon marqueur clinique d'infection à VIH puisque sa valeur prédictive positive est en Afrique de 90%. Il se présente habituellement comme un zona non compliqué différant peu de la forme clinique observée chez l'immunocompétent : éruption érythmatovésiculuse douloureuse unilatérale métamérique. Le caractère multimétamérique et récidivant, la sévérité de certains sont, pour certains auteurs, plus évocateurs d'une immunodépression sous-jacente.
Le traitement par l'aciclovir est indiqué dans les varicelles et seulement dans certaines formes de zona :
Le résultat repose sur l'aciclovir, par voie intraveineuse, à la posologie de 30 mg/kg/j pendant dix jours. Un traitement oral, même à la posologie recommandée de 4 g/j n'a pas prouvé son efficacité sur ce terrain. La mauvaise absorption digestive de l'aciclovir (15-30%) n'incite pas non plus à la prescription orae de l'aciclovir dans cette indication. En cas de résistance à l'aciclovir, on recourt au foscarnet (Foscavir). Poxvirus Les molluscum contagiosum (dus au poxvirus) se présentent comme des papules, ombiliquées, blanc-rosé, en nombre variable (d'une dizaine à la centaine), prédominant au niveau du visage. Leur traitement repose sur l'azote liquite ou l'ablation à la curette. Les récidives sont fréquentes. Les papillomavirus Les papillomavirus sont les agents étiologiques des verrues vulgaires et des végétations vénériennes. La fréquence de ces dernières est variable : de 1,9 à 18%. Elles forment des tumeurs génitales papillomateuses, plus ou moins saillantes (en crête de coq). Au cours du sida, elles prennent volontiers un aspect végétant et extensif. Le traitement fait appel à l'électrocoagulation, au laser, voire à la chirurgie. Le rôle de certains papillomavirus dans la genèse des dysplasies précancéreuses génitales féminines et anales masculines chez l'homosexuel est certain. Primo-infection par le VIH Elle peut se révéler par un exanthème maculopapuleux, évoquant cliniquement l'éruption de la syphilis secondaire, souvent associé à une atteinte muqueuse et à un syndrome grippal avec syndrome mononucléosique. Cytomégalovirus Plus rarement ont été décrites des lésions cutanées à cytomégalovirus. Infections mycosiques Candidose buccale Elle est la manifestation cutanée la plus fréquente observée au cours du sida. Dermatophyties Elles sont tout aussi fréquentes. Elles se présentent sous forme d'onycomycose, d'intertrigo (interdigitoplantaire : pied d'athlète, inguino-scrotale : eczéma marginé de Hébra), d'herpès circiné ou d'atteinte du cuir chevelu (teigne). Des formes profuses ou atypiques ont été décrites : teigne étendu du cuir chevelu, kératodermie palmoplantaire, trichophytie disséminée. L'examen mycologique permet le diagnostic : présence de filaments mycéliens à l'examen direct, identification par culture en trois à six semaines du dermatophyte responsable (le plus souvent Tricophyton ubrum). Sur le plan thérapeutique, les lésions de la peau glabre bénéficient d'un traitement uniquement local. Les lésions des phanères justifient le recours aux antifungiques systémiques : griséofulvine, kétoconazole. Dans tous les cas, le traitement sera prolongé 15 jours après la guérison clinique. Infection à Malassezia furfur Malassezia furfur (ex : Pityrosporum orbiculare) a été impliqué par certains, comme l'agent étiologique de la dermite séborrhéique ou de folliculite. En faveur de son rôle éventuel : son isolement, inconstant, et l'efficacité relative du kétoconazole en topique (Ketoderm) dans le traitement de la dermite séborrhéique et de certains folliculites. Le Pytiriasis versicolor est très fréquent, observé chez 1 à 5% des patients. Des formes diffuses ont été rapportées. Le traitement repose sur les antifungiques locux, voire le kétoconazole oral. Cryptococcoses La localisation cutanée des cryptococcoses est rare. Les lésions sont très polymorphes. La mise en évidence de levure capsule sur la biopsie cutanée ou plus rarement le cytodiagnostic de Tzanck permet le diagnostic, confirmé ultérieurement par les cultures sur milieu de Sabouraux. La recherche d'une atteinte méningée est systématique. Histoplasmose Alors que l'histoplasmose à Histoplasma duboisii et Histoplasma capsulatu est endémique dans les zones intertropicales d'Afrique et d'Amérique, la plupart des cas rapportés au cours du sida sont dues à H. capsulatum. Les aspects cliniques sont, là aussi, très polymorphes : ulcérations oropharyngées, ou cutanées, nodules, placards érysipélatoïdes pseudo-folliculites, papules ombiliquées à type de molluscum contagiosum et rash maculopapuleux voire papulopustuleux. Le diagnostic repose sur la biopsie cutanée (petites levures non capsulées dans les histiocytes) et la culture sur milieu de Sabouraud. Le traitement est envisagé par ailleurs. Autres mycoses Beaucoup plus rarement ont été rapportées d'autres mycoses opportunistes : alternariose cutanée, sporotrichose, coccidioïdomycose, pénicilliose. Infections parasitaires
Néoplasies cutanéo-muqueuses
Manifestations
dermatologiques Elles ne sont pas spécifiques, mais peuvent faire évoquer le diagnostic d'infection à VIH par leur caractère chronique, et profus. Seules les plus fréquentes d'entre elles seront décrites. Dermatoses non infectieuses |
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Néoplasies
Dermostoses ni infectieuses ni néoplasiques
Les manifestations les plus courantes sont en souligné. Les autres ont été décrites plus rarement. |
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Dermite séborrhéique C'est une des manifestations les plus fréquentes. Son étiologie (rôle de Malassezia furfur ?) et sa signification pronostique sont inconnues. Elle se manifeste par des lésions érythématosquameuses des zones séborrhéiques médiofaciales. Son extension en dehors de la face et son caractère chronique ou récidivant doivent faire évoquer le diagnostic d'infection à VIH. Le traitement local repose sur l'association de dermocorticoïdes et de topiques antifongiques imidazolés. La résistance au traitement doit faire rechercher une surinfection (demodex, staphylocoque) ou un facteur de contact. Prurigo La fréquence du prurigo est élevée en zone tropicale où il représente un bon marqueur clinique d'infection à VIH. Dans ces régions, c'est la manifestation observée le plus souvent après la candidose buccale. Son étiologie est discutée :
Le prurigo est marqué par un prurit intense (un prurit chronique inexpliqué doit faire pratiquer une sérologie VIH) et des lésions papulovésiculeuses, ou séropapules, diffuses, de taille variable, prédominant initialement au niveau des faces d'extension des membres (coude, genou, dos du pied, dos des mains) souvent atteints de façon symétrique, puis diffusant au reste du corps.Elles sont associées à des lésions de grattage, de folliculite, d'excoration linéaire, de lichénification et de macules hyperpigmentées résiduelles. Une surinfection bactérienne et parasitaire (demodex) est possible. L'histologie montre un infiltrat dermique inflammatoire non spécifique. L'évolution est chronique chez la plupart des patients. Le traitement est difficile. Les dermocorticoïdes et les antihistaminiques sont peu efficaces; émollients et PUVathérapie sont plus souvent recommandés. Eczéma, xérose, ichtyose La fréquence de l'eczéma au cours de l'infection à VIH est inconnue, mais semble élevée. Une sécheresse cutanée chronique pourrait en être le principal facteur déclenchant. La xérose (séheresse cutanée) fréquente est présente dans certaines études chez 34% des patients au stade sida. Elle relève d'un traitement local par émollient. L'ichtyose est également fréquente, surtout dans les régions tropicales d'Afrique. Elle confère à la peau un caractère squameux, sec et rugueux du fait d'une hyperkératose acquise. Les squames sont habituellement plus prononcées sur le dos et la face d'extension des membres. Son étiologie est inconnue. Elle semble plus courante à un stade avancé de l'infection à VIH. Toxidermies Elles sont principalement observées au cours des traitements de la pneumocystose (association triméthroprime-sulfamétoxazole), de la toxoplasmose (association pyriméthamine-sulfadiazine, association pyriméthamine-clinamycine), de la tuberculose (isoniazide, rifampicine) et des affections bactériennes (pénicillines, association amoxicilline-acide clavulanique). Elles surviennent dans 45 à 75% des cas. Leur fréquence semble augmenter avec la baisse du taux des lymphocytes CD4+. L'origine des toxidermies est surtout discutée :
Elles apparaissent habituellement entre le 8ème et le 12ème jour de traitement sous forme d'un exanthème diffus maculopapuleux prurigineux parfois associé à une fièvre. Le plus souvent elles sont spontanément résolutives en l'absence de tout changement de traitement. Rarement, elles peuvent évoluer vers une toxidermie bulleuse grave parfois mortelles (syndrome de Stevens-Johnson, syndrome de Lyell). En pratique, l'arrêt du traitement s'impose devant l'apparition des manifestations suivantes :
Folliculite Les folliculites réalisent une éruption parfois prurigineuse de pustules centrées par un poil. Elles siègent au niveau des membres, des régions pilleuses axillaires et pubiennes, et du visage. Les cultures des biopsies cutanées peuvent mettre en évidence divers microorganismes : staphylocoques, pytirosporon, dermatophyte, demodex ... L'évolution est alors favorable sous une thérapeutique anti-infectieuse adaptée associée une antisepsie locale. Autres manifestations Le psoriasis n'est pas plus fréquent au cours de l'infection à VIH, mais il existe une modification de son évolutivité : résistance au traitement habituel, sensibilité, inconstante et temporaire, à la zidovudine. Le syndrome de Reiter est souvent révélé par une kératodermie palmoplantaire, parfois associé à une atteinte muqueuse et aux arthralgies. Il est plus fréquent chez les patients ayant l'antigène d'histocompatibilité HLA-B-27. Il impose la recherche d'un facteur infectieux déclenchant :
Des lésions cutanéo-muqueuses simulant le scorbut et la pellagre ont été rapportées chez des enfants haïtiens séropositifs et présentant par ailleurs une malnutrition protéinocalorique. Une éruption papuleuse, non prurigineuse, de la face, formée de nombreuses papules hyperpigmentées, prédominantes à la tête, au cou et à l'extrémité supérieure du corps a été rapportée chez des noirs américains (éruption papuleuse de James). Les manifestations muqueuses observées au cours de l'infection à VIH sont rapportées au tableau ci-dessous. Au niveau de la muqueuse buccale ont été observées des périodondites sévères, des gingivites chroniques, aboutissant à une atrophie rétractive des gencices, ainsi qu'une aphtose buccale sévère et chronique mais sensible à la corticothérapie locale, ou à la thalidomide. Un syndrome sec oculaire et salivaire a été rapporté mais sa fréquence exacte et son étiologie sont inconnues. Au niveau de la muqueuse génitale, un type particulier de toxidermie (érythème pigmenté fixe ?) a été rapporté avec le foscarnet. Il s'agit d'une ulcération pénienne ne guérissant qu'à l'arrêt du traitement. Atteinte des muqueuses |
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Orale
Conjonctivite
Génitale
Anale
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Les
différents atteintes des phanères figurent au tableau
ci-dessous. L'aspect des cheveux est souvent
caractéristique : perte des cheveux, blanchiment de la
chevelure, disparition chez le Noir de l'aspect crépu.
Des déformations et des modifications de la couleur des
ongles, dont certaines sont imputables à la zidovudine,
ont été également observées. De nmbreuses autres manifestations cutanées ont été rapportées au cours de l'infection à VIH. Aucune d'entre elles n'est évocatrice d'infection à VIH (cf " Dermatoses non infectieuses "), et elles ont été décrites très rarement. Atteinte des muqueuses |
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Cheveux
Cils
Ongles
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Démarche diagnostique Examen clinique La recherche de la lésion élémentaire vésicule, papule, érosion-ulcération, squame, papulovésicule, tumeur angiomateuse, ...) et l'étude de la topographie des lésions (distribution métamérique, atteinte palmoplantaire, atteinte des plis, des zones pileuses, des phanères, des cheveux, du visage, de l'extrémité supérieure du thorax) orientent le plus souvent d'emblée vers un diagnostic. Examens complémentaires Ils complètent utilement l'examen clinique :
L'étude des manifestations dermatologiques observées au cours de l'infection à VIH a un double intérêt diagnostique et pronostique. Canidose orale, sarcome de Kaposi agressif, prurigo, zona, et herpès cutanéo-muqueux chronique sont des marqueurs cliniques assez spécifiques de l'infection à VIH. Leucoplasie orale chevelue, candidose buccale, sarcome de Kaposi, herpès chronique et prurigo sont également des signes de mauvais pronostic, justifiant le début d'un traitement antirétroviral. E. Caumes |