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DERMATOLOGIE

D es champignons pas vraiment bons

L es mycoses cutanées figurent parmi les maladies de la peau les plus fréquentes. Chacun de nous risque de contracter, au moins une fois dans sa vie, une de ces pathologies bénignes

Sur les 200 000 espèces de champignons actuellement répertoriées, une centaine vivent en symbiose avec l'homme, plus précisément dans la couche supérieure (cornée) de la peau, les cheveux ou les ongles. La contamination est le fait de champignons au stade de spores. Ces sphérules, invisibles à l'oeil nu, sont très résistantes à la chaleur et au froid. Ils nous contaminent via certains animaux, tels que les chiens et, surtout, les chats (responsables de la teigne du cuir chevelu des enfants), via le sol et, tout particulièrement, via nos congénères.

La majeure partie du temps, nous vivons en bonne entente avec ces champignons en ignorant totalement leur présence pacifique. Mais, dans certaines conditions, ils envahissent les cellules de leur hôte et provoquent une maladie de la peau que l'on appelle une mycose cutanée. Dans de rares circonstances, ces champignons peuvent aussi se révéler extrêmement agressifs, au point d'entraîner la mort : c'est le cas chez des patients immunodéprimés lorsque leur sang est envahi par certaines levures.

L'apparition des mycoses cutanées ou muqueuses est favorisée par diverses conditions : l'humidité, la chaleur, la macération, un excès de poids, un diabète, une grossesse, la prise de médicaments contraceptifs, une hygiène médiocre ou, au contraire, excessive (impliquant l'usage trop fréquent de détergents qui enlèvent une partie de la couche cornée de la peau), la prise d'antibiotiques, de corticoïdes ou, encore, l'état d'immunodéficience observée chez les patients atteints du sida ou les greffés dont l'intolérance naturelle au greffon nécessite un traitement qui supprime l'immunité.

Les champignons les plus fréquemment rencontrés s'appellent les dermatophytes, responsables des dermatophyties. Ils touchent tout le monde, sans aucune distinction. C'est à cette famille qu'appartiennent la célèbre roue de Sainte-Catherine, avec sa bordure rouge vif spiralée à extension centrifuge entourant une zone de peau plus pâle ou l'eczéma marginé de Hébra (qui, en dépit de son nom, n'est pas un eczéma), se développant dans les plis inguinaux et à l'intérieur des cuisses. On y retrouve également la teigne du cuir chevelu des écoliers. Elle se présente sous la forme de taches rondes composées de cheveux cassés entourés de squames poudreuses. La teigne de la barbe ou kérion de Celse, moins visible depuis la disparition des barbiers de village, mais que l'on retrouve encore chez les éleveurs de bétail et les vétérinaires, en fait également partie. Enfin, parmi les dermatophyties, on compte le "pied d'athlète", avec la présence de champignons qui affectionnent les endroits sombres, humides et chauds. Ils se développent surtout au niveau des 4es et 5es espaces interdigitaux des pieds chez des personnes transpirant dans des chaussures fermées, ou bien ils apparaissent après une contamination se faisant le plus souvent via les piscines ou les douches communes. Le fond de l'espace interdigital est alors occupé par une couche blanchâtre responsable de démangeaisons. En se fissurant, elle devient douloureuse.

Une baisse d'immunité

Deuxième par ordre d'importance, les candidoses ou moniliases. Les infections sont ici provoquées par des levures appelées Candidas et qui sont nos saprophytes (c'est-à-dire des résidents habituels du tube digestif et du vagin). Les Candidas deviennent agressifs lorsque se produit un affaiblissement de notre immunité. Ils provoquent, entre autres, des vulvites, des vaginites, des balanites (infection du gland) chez l'homme et, surtout, atteignent très fréquemment des plis sous les seins, entre les fesses ou au début des cuisses. Ils touchent également les ongles des mains, notamment chez les boulangers pâtissiers. Chez eux, l'atteinte des ongles est une maladie professionnelle reconnue.

Troisième et dernière classe de champignons, les pityrosporoses responsables du Pityriasis versicolor, avec ses petites taches rondes localisées au niveau du tronc et du cou. Elles sont tour à tour brunes en hiver et pâles en été, venant contrarier la qualité du bronzage. Une autre maladie très répandue est probablement due à un Pityrosporum : la dermatite séborrhéique. Elle se voit dans les zones du corps où la production de sébum est abondante, c'est-à-dire au centre du visage, à la limite de l'implantation des cheveux, le siège, les aisselles. Ce Pityrosporum est responsable de la formation de pellicules grasses. Ces dernières collent au cuir chevelu et à la racine des cheveux. Elles disparaissent avec un shampooing contenant un produit antifongique. La dermatite séborrhéique constituerait la réaction de notre organisme face au Pityrosporum, ce qui explique le caractère très récidivant de cette affection.

Le diagnostic de ces mycoses cutanées passe par l'examen attentif (si possible sous la loupe) des lésions, complété en cas de doute par un examen microscopique direct et une mise en culture, ce dernier test prenant de deux à trois semaines. La lampe à ultraviolets de Wood est utile notamment pour différencier la teigne du cuir chevelu de la pelade. Elle permet également de ne pas confondre le Pityriasis versicolor avec le vitiligo.

Le traitement consiste en crèmes antimycosiques à appliquer deux fois par jour pendant une période suffisamment longue, le plus souvent 2 semaines encore après la disparition des lésions. Pour les formes très étendues ou profondes, il faut recourir à des médicaments pris par la bouche pendant quinze jours au minimum pour une roue de Sainte-Catherine étendue, un mois pour une teigne et trois mois au minimum pour une onychomycose (ou mycose de l'ongle). Les rechutes sont prévenues en badigeonnant les zones atteintes à l'aide d'une préparation iodée (de l'Isobétadine, par exemple), en se lavant une fois par jour avec des savons désinfectants ou, encore, en saupoudrant les chaussettes et les chaussures d'un produit antifongique.

"La tendance actuelle est de recourir de plus en plus souvent à des médicaments oraux, explique le Pr Tennstedt, dermatologue aux cliniques universitaires Saint-Luc, à Bruxelles. En effet, les produits à action locale passent souvent à côté de foyers infectieux situés à d'autres endroits du corps, ce qui explique alors la fréquence des récidives." Ces traitements sont très bien tolérés. "Les crèmes et les lotions restent encore utilisées dans deux cas, poursuit le Pr Tennstedt : pour le pied d'athlète et la roue de Sainte-Catherine unique."

Dernier point : pourquoi traiter des affections souvent peu gênantes ? La réponse relève parfois de raisons esthétiques (lorsqu'il s'agit par exemple d'un Pityriasis versicolor). Mais, de surcroît, en l'absence de traitement, il faut savoir que les champignons contaminent tout le monde. Ainsi, les dermatophytes responsables du pied d'athlète n'existent pas seulement dans les piscines : on les retrouve également dans nos salles de bains (où ils risquent de contaminer nos proches), sur les tatamis, sur les plages, bref, dans tous les endroits où nous marchons pieds nus. De même, une vaginite à Candida albicans aura moins de chances de récidiver si l'on traite simultanément le partenaire sexuel. S'il faut aussi traiter les mycoses, c'est qu'à défaut on se contamine soi-même. Il est en effet fréquent de rencontrer chez le même individu une onychomycose et un eczéma marginé de Hébra, c'est-à-dire deux affections provoquées par le même champignon, mais à une localisation différente. Les raisons de confort ne sont pas à négliger non plus. L'onychomycose des pieds, caractérisée par un épaississement de l'ongle, sa coloration jaune ou brune et sa friabilité excessive, peut devenir à la fois une source de désagrément esthétique et de gêne. Idem pour le pied d'athlète qui dégage des odeurs désagréables et devient franchement douloureux au stade des fissures.

Dr Charles Berliner
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